Séance sur l’Accès au logement et urbanisme rénové – 2ème séance, deuxième lecture. Discussion générale : prise de parole de Julien Aubert, jusqu’à Cécile Duflot.
http://videos.assemblee-nationale.fr/video.5068.2eme-seance–acces-au-logement-et-urbanisme-renove-deuxieme-lecture-discussion-generale-14-janvier-2014
Sur le billet précédent, j’ai proposé la vidéo et le texte “monté” des échanges, dans la mesure où une focalisation journalistique y est réalisée pour épingler ce qui fait polémique, et remet sur le tapis les différentes manières d’envisager le partage territorial (spatial et symbolique) entre le féminin et le masculin, comme représentant un partage de territoires réel entre les femmes et les hommes.
Il s’agit ci-après de la retranscription intégrale des échanges enregistrés par écrit pour le compte-rendu de l’Assemblée nationale (extrait). L’extrait comparé à l’extrait vidéo intégral, également disponible sur le site de l’Assemblée permet de voir 1/ que les propos ne sont pas toujours exactement retranscrits 2/ que l’adresse « Madame le ministre » est répétée par le député Julien Aubert malgré les demandes de reprises répétées (signalé en gras, dans l’extrait), 3/ que les remarques ironiques fusent dans l’hémicycle, inaudibles lors de l’enregistrement, qui ne permet d’entendre que les propos de l’orateur (échanges mis en italiques par mes soins, dans l’extrait ci-dessous).
“(…)
Mme la présidente. La parole est à M. Julien Aubert.
M. Julien Aubert. Madame le président,…
Mme la présidente. « La » présidente !
M. Julien Aubert. …madame le ministre, monsieur et madame les rapporteurs, chers collègues, je ne reviendrai pas sur l’ensemble du texte, ni sur son impact sur la démocratie, puisque vous retirez aux maires une partie de leurs compétences, ni sur les contraintes qu’il imposera aux zones rurales et aux zones montagneuses. Non, je veux aujourd’hui me concentrer sur la philosophie de ce projet de loi que nous examinons en deuxième lecture. Il s’agit, à mon sens, d’une fausse bonne idée du Gouvernement.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. C’est déjà une bonne idée !
M. Julien Aubert. L’idée qui sous-tend ce texte, mais peut-être que je la résume mal, c’est qu’il n’y a pas assez d’offres à la location et qu’il faudrait donc garantir les loyers pour les propriétaires, protéger les locataires et ainsi fluidifier le marché.
Permettez-moi, madame le ministre, de raconter une anecdote qui remonte à quelques années. Un contribuable de ma circonscription possédait un bien occupé par un locataire qui ne payait pas son loyer. Ce locataire a non seulement passé de nombreuses années sans payer son loyer, mais il a également poussé le vice jusqu’à téléphoner à son bailleur à des heures perdues de la nuit pour lui expliquer dans le détail comment il avait détourné le droit, jusqu’à quel point il continuerait ainsi et combien de temps il pourrait continuer à ne pas payer son loyer.
M. Michel Piron. Tout se passe la nuit ! (Sourires.)
M. Julien Aubert. Au bout de trois années de procédures, le propriétaire était en pleine crise nerveuse. Non seulement il se trouvait dans une situation de fragilité économique, mais il recevait tous les soirs une leçon de droit, par une personne animée de mauvaises intentions !
Je me demande donc, madame le ministre, si votre projet de loi permettra de rééquilibrer les relations entre propriétaires et locataires et de résoudre ce type de situation. La réponse est non. Cela ne signifie pas que votre texte ne répond pas à d’autres objectifs tout à fait louables. Cependant, sur ce point précis, vous avez totalement raté le coche.
En réalité, votre texte repose sur une vision statique de l’économie, un peu identique, d’ailleurs, à celle du Gouvernement concernant le marché de l’emploi, comme il a pu le démontrer s’agissant des 35 heures.
Mme Audrey Linkenheld, rapporteure de la commission des affaires économiques. Ça faisait longtemps !
M. Julien Aubert. Vous vous appuyez sur un rapport de force existant, que vous considérez comme le périmètre intangible de la réflexion, et vous essayez de déplacer le curseur au sein de cet ensemble. En d’autres termes, votre vision du marché locatif est figée.
Poursuivons, si vous le voulez bien, la comparaison économique entre la dynamique de l’emploi et celle du marché locatif. Après tout, et même si je vois vos signes de dénégation, madame le ministre, ces deux marchés se ressemblent puisqu’ils voient tous les deux se rencontrer l’offre et la demande. À chaque fois qu’un gouvernement a voulu surprotéger les salariés, au prétexte de lutter contre le chômage, en alourdissant le code du travail, le chômage s’est aggravé. Pire, il s’est solidifié, devenant structurellement élevé dans ce pays. Les entreprises hésitent à embaucher car elles ont peur de licencier.
M. Christophe Borgel. Votre vision n’est pas du tout dogmatique !
M. Julien Aubert. Votre approche du marché locatif est exactement la même que pour le marché de l’emploi : les locataires sont les salariés et les propriétaires sont les employeurs. En sanctuarisant la situation des locataires, comme vous le faites par exemple en étendant la trêve hivernale, on asséchera mécaniquement le nombre de biens disponibles. On ne crée pas la prospérité en dissuadant ceux qui créent de l’emploi ; de même, on ne crée pas du logement en euthanasiant ceux qui peuvent en proposer. L’encadrement des loyers est au marché locatif ce que l’encadrement des salaires est au marché de l’emploi.
Au lieu d’ajouter des règles, il faut, au contraire, libéraliser le marché en allégeant les contraintes administratives et en laissant l’État à sa juste place. Or, madame le ministre, votre projet fait tout l’inverse.
S’agissant tout d’abord de la garantie universelle obligatoire des loyers, celle-ci aurait eu pour conséquence – je parle au conditionnel, puisque cette mesure a été modifiée dans le texte qui nous est soumis en deuxième lecture – de fragiliser un marché locatif sous tension et de faire supporter par un fonds les loyers à payer, incitant ainsi certains locataires malveillants à ne pas remplir leurs obligations. C’est l’équivalent, sur le marché du travail, de la garantie de l’emploi à vie, sans sanction en cas de triche. Vous n’éviterez pas les phénomènes de passager clandestin.
Si l’on y ajoute les délais bien souvent très longs pour faire expulser un locataire mal intentionné, on risque de voir le marché de la location se comprimer. Regardez ce qui se passe sur le marché du travail, lorsqu’un patron ne peut pas se défaire d’un salarié, même si celui-ci nuit à l’entreprise, et que tout conflit se termine invariablement par une décision prud’homale défavorable à l’employeur ! Est-ce un hasard si, au cours des deux dernières années, un grand nombre de PME ayant licencié des salariés à cause de la crise hésitent à embaucher de nouveau ? Je me réjouis donc que la garantie universelle des loyers soit devenue facultative : c’est un moyen d’atténuer sa nocivité profonde.
S’agissant ensuite de l’impossibilité d’occuper un bien immobilier nouvellement acheté mais déjà loué avant la fin du renouvellement du bail en cours, qui fait l’objet du 4° du I de l’article 2, on ne peut que demeurer dubitatif. Comment, et surtout pourquoi acheter un bien déjà occupé ? Quelles conséquences pour le propriétaire, qui se retrouvera avec un bien dont il ne pourra pas disposer librement ? L’une d’entre elles sera la diminution mécanique du prix du bien. Lorsqu’on achète un bien pour investir, ce n’est pas pour effectuer une moins-value parce qu’il est occupé au moins jusqu’à la fin du renouvellement du bail en cours !
En réalité, le système que vous proposez consiste tout simplement en un viager revu et corrigé. Et de la même façon, lorsque le bien sera acheté pour y vivre, les nouveaux propriétaires seront dans l’obligation d’attendre avant de pouvoir emménager. Comment feront-ils ? Devront-ils aussi demeurer locataires le temps du bail ? Une fois le délai d’occupation légale dépassé, compte tenu des nombreux renforcements de normes en matière d’expulsion, le locataire présent sera en droit de rester dans l’appartement occupé, en attendant une hypothétique décision de justice d’expulsion et le recours à la force publique.
M. Lionel Tardy. Eh oui !
M. Julien Aubert. Les propriétaires sont déjà très craintifs à l’idée de louer leur bien, compte tenu des règles actuelles. L’une des explications de la paralysie du marché locatif, mais non la seule, est à trouver dans cette situation.
M. Lionel Tardy. Bien sûr !
M. Julien Aubert. Votre texte va, hélas, renforcer cette crainte : les propriétaires seront encore plus attentifs aux conditions du choix de leurs locataires. Une nouvelle fois, vous allez donc faire peser sur les locataires les plus modestes, sur ceux qui ont les revenus les plus faibles, le poids de votre nouvelle réglementation.
M. Alain Fauré. Et cela vous tracasse !
M. Julien Aubert. Les dindons de la farce seront inévitablement les locataires ayant de faibles revenus. Compte tenu du renforcement des règles, un propriétaire effectuera une sélection extrêmement élaborée pour choisir les locataires les plus riches.
Ce que je reproche à la vision économique du Gouvernement, c’est l’idée sous-jacente que l’employeur est employeur par nature, tout comme le salarié, de même que le propriétaire serait toujours propriétaire face à des personnes qui seraient naturellement locataires. Jamais vous n’envisagez la possibilité que l’employeur puisse être un ancien salarié, et ne soit donc pas forcément un grand capitaliste sauvage qui licencie pour son plaisir. De la même manière, dans ma vision sociale, les locataires ont le droit d’espérer devenir un jour propriétaires. Le propriétaire d’un petit appartement, qui vit chichement et devra attendre de longues années avant de récupérer un bien dévalué, ne me semble pas forcément être celui qui doit payer les pots cassés du fameux rééquilibrage social voulu par le Gouvernement.
Plutôt que d’opposer et de solidifier les relations entre les deux groupes, l’État devrait avoir à cœur de favoriser la migration des locataires vers le statut de propriétaire.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Cela a marché, aux États-Unis !
M. Julien Aubert. Ce n’est pas en appauvrissant les propriétaires que vous donnerez aux locataires l’envie de le devenir, dans le contexte de dégradation considérable des conditions d’emprunt que nous connaissons aujourd’hui.
La République des droits et des devoirs, madame le ministre,…
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Madame « la » ministre !
M. Julien Aubert. …ce serait sanctionner ceux qui abusent de la protection accordée aux locataires. La République des droits et des devoirs, ce serait lutter contre la spéculation immobilière par des moyens beaucoup plus directs. La République des droits et des devoirs, enfin, ce serait protéger les locataires face à des marchands de sommeil ou à des propriétaires qui utilisent la raréfaction des biens sur le marché locatif pour obtenir un rapport de force plus favorable.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Avez-vous bien lu le projet de loi ? C’est ce que nous faisons !
M. Julien Aubert. Mais ce n’est que l’un des trois éléments de la justice sociale, que vous cherchez inlassablement mais que vous n’atteignez jamais parce que vous plaquez sur l’économie une vision rigide et idéologique.
Si votre projet de loi a été totalement remanié, c’est qu’il est devenu perpendiculaire aux nouvelles orientations définies par le Président de la République lui-même. Celui-ci a proposé une simplification des règles. Or ce projet de loi, que vous faites passer en urgence – je devrais dire « à toute allure » –…
M. Guy Delcourt. Elle est bien bonne !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. On voit que vous avez suivi tous les débats, monsieur Aubert !
M. Julien Aubert. …est l’inverse de la simplification. Je vois que certains se sont réveillés : cela fait toujours plaisir, en fin de journée !
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Nous suivons les débats depuis le mois de juin !
M. Julien Aubert. En outre, le Président de la République a annoncé un virage social-libéral. Dans « social-libéral », il y a l’idée de libéralisation : je souhaite donc qu’un vent de liberté souffle quelque peu sur cet hémicycle. L’égalité ne doit pas restreindre la liberté, qui doit exister aussi dans les rapports entre propriétaires et locataires.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Après cette intervention, vous avez la liberté de rentrer chez vous !
M. Julien Aubert. Je souhaite que cet hémicycle, dans sa sagesse, vienne un jour rééquilibrer les rapports de force et permettre à la France de devenir un pays de propriétaires.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Ça, même Nicolas Sarkozy ne le dit plus !
Mme la présidente. Monsieur « la » députée, vous étiez la dernière oratrice inscrite. La discussion générale est donc close. (Rires sur plusieurs bancs du groupe SRC.)
M. Daniel Goldberg, rapporteur. Bravo, madame la présidente !
M. Julien Aubert. Oh ! On a les blagues qu’on peut !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre de l’égalité des territoires et du logement.
M. Daniel Goldberg, rapporteur. M. Aubert s’en va !
Mme Cécile Duflot, ministre de l’égalité des territoires et du logement. Mesdames et messieurs les députés, je veux répondre à chacune de vos interventions, de manière assez concise. (…)”